Éclats de rire à répétition, applaudissements pendant et après le film, visages détournés de l'écran à chaque giclée gore, des «Ooooh!» à l'unisson choqués autant qu'amusés… Et vivats nourris au générique de fin, par un public essoré mais hilare après un tel bouillon écarlate. Bon sang mais que c'est bon, une salle de cinéma qui vibre!
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Et contrairement aux apparences, nous étions bien à la projection d'un long-métrageen compétition à Cannes. The Substance de Coralie Fargeat, vu ledimanche 19mai2024à 21h30 dans une salle Debussy chauffée à blanc et marquée au fer rouge. Pardonnez l'excès de détails mais, pour sûr, cette séance-là va rester dans les annales et nous pourrons dire: «J'y étais!»
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À côté de «The Substance», «Titane» paraît presque tendre
Pas tant que The Substance soit un chef-d'œuvre. Mais tout de même: difficile de bouder son plaisir devant le tir groupé d'idées de mise en scène. Ce délire débute comme un segment deLa Quatrième Dimension mâtiné d'esthétique Nip/Tuckavec un zeste de Spike Jonze et se termine dans une folie furieuse évoquant aussi bienLa Mouche de Cronenberg que le Braindead de Peter Jackson.
Film de body horror touchant au stade terminal, à faire passer leTitane de Julia Ducournaupour un épisode dePeppa Pig, The Substance est une satire très, très noire de la dictature du paraître dans le monde du spectacle et une dénonciation au bazooka de ses retombées surles femmes, ses premières victimes.
Hommes ignobles, dégoûtants ou débiles
Demi Moore, à nu au propre comme au figuré dans un rôle qui feradate dans son CV, incarne Elisabeth Sparkle, la star vieillissante d'un show d'aérobic racoleur mais très populaire, produit par le répugnant Harvey (Dennis Quaid). Virée sans ménagement, elle est invitée par l'intermédiaire d'un mystérieux infirmier à tester un produit chimique révolutionnaire: the substance. Un sérum à s'auto-injecter qui, une fois inoculé, provoque la naissance à partir de son propre corps d'une version d'elle-même plus jeune (jouée par Margaret Qualley, fille d'Andy McDowell vue dans Once Upon a Time in Hollywood, Poor Things et Kinds of Kindness).
Le processus marche à une condition: le corps «matrice» (Elisabeth) et «l'autre elle-même» (baptisée Sue) doivent permuter une semaine sur deux, sous peine de conséquences catastrophiques si le protocole n'est pas respecté…
Certes, tout cela n'est pas bien léger: signé par la réalisatrice, le scénario enfonce une porte ouverte depuis longtemps sur l'écrasante machine à broyer les aspirantes à la célébrité dans la cité des rêves (l'intrigue se déroule évidemment à Los Angeles). Tous les hommes filmés par une Coralie Fargeat très en colère et limite misandre sont ignobles, dégoûtants ou débiles dans The Substance et incarnent un ordre social – ici le showbiz – forcément patriarcal où le destin desfemmes-chair fraîche est placéen coupe réglée.
Nicolas Winding Refn grattait déjà les mêmes plaies en2017dans le grotesque Neon Demon, mais ici la charge semble mieux balancée. Et la caricature n'est pas plus gênante que cela dans la mesure où, très tôt, on comprend que le récit est traité comme un long cauchemar stylisé malgré le propos très politique.
Certes, plusieurs points du scénario ne collent pas vraiment – pourquoi notamment Elisabeth persiste à poursuivre l'expérience alors qu'à l'évidence elle n'a rien à y gagner – ni ne sont guère expliqués. Lorsque tout part en vrille, plus encore que dans le final de Requiem for a Dream, The Substance vire pour de bon à l'abstraction délirante, à la fois sidérante et un peu vaine.
Mais on rit de bon cœur devant la farce, propulsée à un tel degré de dinguerie qu'elle marquera longtemps les esprits. Fargeat pousse tous les potards à fond, sature à mort la bande-son et, si vous êtes prêts et consentants à trente minutes ultimes dans le tambour de la machine à laver, le dernier virage vous électrisera autant qu'un tour de grand huit sous amphétamines. Dans le cas où, au contraire, vous seriez plutôt d'humeur Downton Abbey, fuyez pauvres fous, sous peine de voirsaigner de concert vos fragilestympans et rétines sans défense.
Et si le film de Coralie Fargeat repartait de Cannes avec un prix?
Les amateurs d'épouvante, eux, sont à la fête. Coralie Fargeat connaît ses classiques et s'en donne à cœur joie dans la boîte à souvenirs: ici des murs rouge sang et une moquette à la Shining, là un sérum demême couleur que celui de Reanimator, ailleurs d'écœurants maquillages prosthétiques marchant sur les traces de La Mouche en fin de parcours ou de ceux du super culte Society de Brian Yuzna… On touche même à Tod Browning et au cubisme pour finir, tandis que l'inventivité de l'équipe des effets spéciaux n'a rien à envier aux glorieux aînés cités plus haut.
Remarquée avec son premier long-métrage Revenge en 2017, déjà un film de genre féministe, la réalisatrice enfonce le clou à gros coups de gourdin sur son propos et on ne sait pas encore bien ce qui, avec le temps, restera de The Substance. On regrette aussi un métrage qui aurait gagné à plus de concision (2h20 quand même!), le film multipliant trop de fausses fins pour ne pas finir par lasser un brin. Mais, en l'espace d'une projection, hier soir sur la Croisette, elle a proposé plus d'idées de cinéma et déclenché plus de réactions dans la salle que bien des autres pensums de la compétition.
La ferveur des applaudissements et l'exultation au générique de fin en disaient long, hier soir, sur l'intensebesoin d'un pur spectacle pop-corn désinhibé au milieu de tant de productions plombantes depuis le début du Festival. À ce titre, la franc-tireuse Coralie Fargeat peut se vanter d'avoir visé en plein dans le mille et marquél'histoire de la Croisette avec cette projection-montagnes russes qu'on n'est pas près d'oublier.
Une idée folle nous vient soudain: et si cette fantaisie mordante etdiablement bien réaliséerepartait de Cannes avec un prix d'interprétation pour l'incroyable Demi Moore, un autre pour sa mise en scène… voire une Palme d'or? Pur fantasme bien sûr mais allez savoir, Titane, dont The Substance est l'antithèse absolue par son humour, sa générosité et le plaisir qu'il nous procure, l'a bien décrochée, lui.
The Substance de Coralie Fargeat (2h20). Sélection en compétition. Date de sortie inconnue.